Les coureurs espagnols nagent en plein paradoxe : à l'époque des formations nationales, ils ne parviennent pas à unir leurs efforts ; regroupés par équipe de marque, ils s'unissent tous autour d'Angelino SOLER ROMAGURA pour que celui-ci batte les belges de l'équipe Groene-Leeuw et le Français MAHÉ. Pourtant cette édition va effacer les excès de 1960 et rester, aux yeux des connaisseurs, comme une des plus disputées. Le succès d'Angelino SOLER, le plus jeune vainqueur de l'histoire, témoigne de l'éclosion d'un talent précoce au moment où BAHAMONTES refuse de disputer l'épreuve. Pourtant l'organisateur, échaudé peut-être, ne présente pas de noms illutres à l'affiche : DE MULDER, vainqueur sortant défend les couleurs belges ; les Français dirigés par le grand André LEDUCQ alignent de bons coureurs parmi lesquels DOTTO, vainqueur en 1955, MAHÉ, héros malheureux de ce tour... Côté espagnol, l'équipe Faema, dirigée par Bernardo RUIZ, paraît la mieux armée. Parmi les néophytes, relevons les noms de Francisco GABICAGOGEASCOA IBARRA, un futur grand, et de Julio JIMENEZ. A quelques jours du départ, le mauvais sort fauche un coureur, alors qu'il s'entraînait dans le Sollube, Joaquim BARCELO. Ses compagnons lui rendront un émouvant hommage à l'arrivée à Benidorm.

Les évènements liés à la guerre d'Algérie contraignent l'organisateur à modifier le tracé de la 2° étape, Pamplune-Bayonne ; un circuit entre Pamplune et Estella remplace le parcours initialement prévu. Les deux premières journées, marquées par des attaques incessantes, manifestent la domination de l'équipe Kas, dirigée par Luis GOICOECHEA. Le jeune Eusebio VELEZ occupe la première place du classement général et l'ensemble de la formation, le classement par équipes.

La 3° étape, Pamplune-Huesca, appartient désormais à la chanson de geste du cyclisme, son héros s'appelle Vicente ITURAT. ITURAT s'en va tôt, dès le 16° km ; il passe au sommet du Monrepos (km 167) avec 2'04" d'avance sur ses poursuivants immédiats. Il n'y a rien là que de très ordinaire s'agissant d'une étape de montagne. Soudain, un déluge de boue et de pluie s'abat sur la route qui, pendant les 34 km restant pour rallier Huesca, ressemble à un enfer. Les coureurs se transforment en fantômes boueux. Le spectacle devient fantastique, une geste sportive d'anthologie, avec dans le rôle principal Vicente ITURAT, à la recherche de la gloire, suivi par PEREZ-FRANCES, SAN EMETERIO, MORALES, OTAÑO, MAHÉ, ROHRBACH, Antonio GOMEZ DEL MORAL, CARDOSO, BARRUTIA, MESSELIS. Les groupes s'éparpillent de loin en loin. ITURAT, héros dantesque, ne cède pas même si, à l'arrivée, le gain reste mince : 55" sur SAN EMETERIO. Eusebio VELEZ, arrivé à 1'39", cède le maillot de leader à François MAHÉ. Angelino SOLER, futur vainqueur, se situe encore bien loin à 6'24".

Après un intermède assuré par Jose-Luis TALAMILLO, un spécialiste du cyclo-cross, ce sont les coureurs belges de l'équipe Groene-Leeuw qui dominent la course jusqu'à l'avant-veille de l'arrivée. C'est d'abord un homme peu connu, Marcel SEYNAEVE, qui prend le maillot "amarillo" à l'issue de la 6° étape. Une belle échappée réunit SEYNAEVE, DAMEN, PIPELIN, LE DISSEZ, Angelino SOLER, et JIMENEZ QUILES. Ces hommes prennent 9' au peloton et SOLER, qui a gagné chez lui à Valence, revient à la 3° place du classement général à 7'06" du leader belge.

Le maillot change d'épaules à l'issue de la 11° étape, Madrid-Valladolid. Dix hommes se dégagent dès le départ : GALDEANO, MORENO, COLMENAREJO, HERNAN, CAMPILLO QUEHEILLE, CASTRO, SABBADIN, mais aussi MATHYS et MESSELIS, 4° du classement général. Six autres hommes vont rejoindre le groupe : GUARDIOLA, MARIGIL, MAS, Julio JIMENEZ, BARBOSA et Arthur DE CABOOTER. Les 16 fuyards prennent 11'29" sur le peloton et MESSELIS devient leader avec 4'21" d'avance sur SEYNAEVE ; SOLER est 5° à 11'27". Après la 12° étape contre-la-montre, que l'on a qualifiée à tort de décisive, SOLER revient à 10'21" ; MAHÉ figure à 12'12".

La 14° étape, Santander-Vitoria, comprend la très difficile ascension d'Orduña. KARMANY, qui vise le Grand Prix de la Montagne passe en tête suivi de l'italien SABBADIN, à 6'21". Plus loin roule un groupe compact comprenant PACHECO, SOLER, MAHÉ, DE MULDER et BOTELLA. MESSELIS s'accroche, son retard s'élève alors à 8'. Dans la descente, DE MULDER est décroché du groupe et les hommes roulent dans une entente parfaite comme s'ils appartenaient à la même équipe. Albert DE KIMPE reprochera avec quelque raison, semble-t-il, l'union entre Espagnols, véritable action anti-sportive. Si MAHÉ se maintient avec les plus forts et gagne l'étape, les coureurs belges terminent loin, MESSELIS perd 8'57" et DE MULDER abandonne. L'avantage du leader se rétrécit comme peau de chagrin : 1'24" sur SOLER et 2'15" sur MAHÉ.

La 15° étape, Vitoria-Bilbao, constitue un véritable chemin de croix pour le valeureux André MESSELIS. Dans la traditionnelle montée d'Urkiola, tous les Espagnols unis roulent comme des damnés : seul MAHÉ, le breton, parvient à se maintenir. MESSELIS, esseulé, sombre ; il passe la ligne 7'17" après KARMANY. Au classement général, SOLER prend le tête ; MAHÉ, placé à 51", conserve quelque espoir. Le coureur français compte sur la dernière étape. Seulement, l'accident bête se produit : il chute sur les rails du tramway de Bilbao et se fracture le nez.

Envolées les illusions du coureur français, souvent placé, plus rarement vainqueur tout au long de sa brillante carrière. Ce tour couronne le plus jeune vainqueur de l'histoire de la Vuelta

Texte de Jean KNAUF.
 
Etapes du 29/04 au 11/05/1961
1a San Sebastian, 10.5 km CLM par équipes
1b San Sebastian - Pamplona, 91 km
2 Pamplona - Pamplona, 174 km
3 Pamplona - Huesca, 193 km
4 Binefar - Barcelona, 199 km
5 Barcelona - Tortosa, 185 km
6 Tortosa - Valencia, 188 km
7 Valencia - Benidorm, 144 km
8 Benidorm - Albacete, 211 km
9 Albacete - Madrid, 198 km
10 Madrid - Madrid, 195 km
11 Madrid - Valladolid, 198 km
12 Valladolid - Palencia, 48 km CLM
13 Palencia - Santander, 220 km
14 Santander - Vitoria, 235 km
15 Vitoria - Bilbao, 179 km
16 Bilbao - Bilbao, 159 km

Palmarès de la Vuelta a España

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